Point millésime 2019 à Bordeaux

Parlons un peu du millésime 2019 dans le vignoble bordelais grâce au groupe Enosens qui est une structure de conseil oenologique et viticole basée sur plusieurs sites en Gironde et qui fait également de la formation, des certifications environnementales, du marketing digital et bien d'autres activités toutes plus complémentaires les unes que les autres. Avec pas loin de 2000 clients, 472 propriétés en consulting oenologique et pas loin de 22000 échantillons analysés par an, Enosens est un bon outil pour avoir un aperçu global de la production bordelaise grâce à des données précises et également au retours de leurs clients, les vignerons.

Alors que donnent les premiers balbutiements de ce bébé fraîchement né et qui en est au tout début de sa (longue) carrière à venir, j'ai nommé le 2019 ?
Sachez qu'actuellement, pour les propriétés qui ont choisi de faire vieillir en barrique leurs jus, au moment où j'écris ces lignes, les premiers vins sont mis en fût petit à petit après quelques semaines / mois dans les cuves inox, afin de commencer le lent travail du temps.

Quelques chiffres estimatifs pour le millésime 2019 

Le volume estimé de la production AOP de Bordeaux 2019 est d'un peu plus de 5 millions d'hectolitres répartis comme suit :

• Blancs secs : 486 596 hL (pour une superficie de 9555 ha)
• Blancs doux : 88 900 hL (3030 ha)
• Bordeaux : 2 481 000 hL (52 300 ha)
• Côtes de Bordeaux : 592 000 hL (14 170 ha)
• Médoc et Graves : 881 000 hL (20 240 ha)
• Saint-Emilion / Pomerol / Fronsac : 531 000 hL (12 195 ha)

le millésime 2019 a été assez complexe du point de vue d'un vigneron car les 2 épisodes de gelées (avril et mai) ont freiné la maturité puis, paradoxalement, et ce malgré les pluies de juillet, les épisodes de sécheresse d'août ont créé ce qu'on nomme un stress hydrique sur les plus jeunes pieds de vigne avec des racines encore peu profondes et également sur les parcelles avec des sols trop filtrants. Heureusement, la pluie salutaire est arrivée courant septembre ce qui a permis de terminer la maturité sur les parcelles en retard. 

Du côté maladies, le mildiou a fait une petite entrée en scène qui a été fort heureusement contenue et freinée avec la chaleur sèche de l'été . Même constat pour l'oïdium. Le botrytis quant à lui, indispensable pour les vins moelleux et liquoreux mais combattu par le reste des producteurs, a fait son apparition vers la fin du mois de juillet. 

La chaleur de l'été a engendré des baies assez petites mais avec une belle épaisseur de peaux. Les diverses dégustations de ces dernières tout au long du processus de maturité a permis de révéler de beaux potentiels aromatiques.

Enfin, le soleil aidant, la production 2019 est marquée par des degrés assez élevés mais avec une acidité efficace afin de contrebalancer l'alcool.

Pour les rouges, les merlots ont été récoltés du 14 au 30 septembre (données Enosens via leur panel de propriétés en consulting) et même jusqu'au 9 octobre dans le Médoc. Pour les cabernets : entre le 25 septembre et le 15 octobre.Globalement le millésime sera assez gourmand et sur le fruit.

La récolte des blancs secs s'est effectuée dans les derniers jours d'août et les jus se sont révélés aromatiques avec une belle acidité, typique des cépages récoltés. Les blancs liquoreux ont quant à eux, connu une arrivée tardive du botrytis heureusement boostée par les pluies de septembre, favorisant son développement avec l'humidité. Les tries ont été cette année assez longues et techniques en raison du développement de la pourriture aigre.

Enfin, les rosés dont les raisins destinés à cette production ont été récoltés entre le 10 et le 20 septembre permettent d'obtenir des jus de "belle couleur pâle" et assez fruités dans l'ensemble.

C'est donc globalement un beau millésime qui nous attend mais qui a les caractéristiques des vins du sud plus que du Bordeaux dans la manière de le vinifier. Une belle maturité qui entraîne des arômes fruités et gourmands mais qui a demandé une vision et des choix assez précis pour les vendanges puis les fermentations. C'est chaque année un renouveau et il faut pour les vignerons et les équipes d'Enosens, puiser dans les expériences des millésimes passés et faire les bons choix en fonction du changement climatique qui s'opère petit à petit.

Afin d'anticiper ces bouleversements, j'ai pu participer à une masterclass organisée par les équipes d'Enosens sur le thème des cépages résistants. Un moment passionnant qui prouve que la viticulture a de la ressource et le fait de s'appuyer dans l'expérience passée en terme de sélection de cépages permet de s'armer contre les aléas climatiques qui nous attendent. Ainsi j'au pu déguster les jus des cépages suivants : 

• Arinarnoa qui est un croisement entre le tanat et le cabernet sauvignon. A lui tout seul il permet de retrouver la structure et l'ampleur du cabernet mais également la partie tannique du tanat (d'où son nom  : tanat, tanins... vous l'avez ? ) c'est un cépage très connu en Amérique du sud.
• Marselan : croisement entre cabernet-sauvignon et grenache noir. C'est la Chine qui l'a récemment utilisé en masse. Il produit des jus assez foncés , riches en tanins et avec de forts potentiels de garde.
• Petit Verdot (j'en suis fan) : ce cépage est bordelais et a toujours été utilisé en petite quantité dans les assemblages surtout médocains, afin d'apporter de l'acidité par touches mais également une côté charpenté au vin final. Depuis quelques années son pourcentage dans les assemblages a tendance à monter en flèche sur certaines propriétés jusqu'à en faire des cuvées monocépage comme le Château Belle-Vue à Macau.
• Carménère : originaire du Médoc, c'est un cépage très ancien. Il serait le résultat du croisement entre le gros cabernet et le cabernet franc. A l'inverse du petit verdot, il manque un peu d'acidité mais apporte de l'amertume ainsi qu'une belle palette aromatique. Jeunes, les jus ont une tendance à développer des arômes herbacés. Avec un peu de patience arrivent alors les fruits rouges, le cacao, poivre et la réglisse.
• Cal Blanc :  croisement d'origine suisse entre le riesling et le sauvignon blanc. Autant vous dire que c'est ultra intéressant. Les jus sont frais et fruités. Il prennent le meilleur des deux cépages dont ils sont issus. Parfait pour des arômes de fruits exotiques et d'épices douces tout en conservant une belle rondeur. 
• Chardonnay : sans doute parmi les cépages les plus connus au monde avec le cabernet et le merlot, il est lui aussi issu d'un croisement entre le Gouais (un très vieux cépage qui se revendique originaire de France et / ou de Croatie selon les syndicats ou la police) et le Pinot. Il est surtout répandu en Bourgogne qui en produisent les plus grands vins, mais il commence à arriver dans le bordelais notamment dans le secteur de Saint-Emilion où certaines propriétés plus ou moins grandes sont actuellement en phase de tests et dont certaines productions sont déjà vendues depuis quelques années. J'aime beaucoup ce cépage pour sa typicité : il produit des arômes naturellement beurrés et toastés avant même le moindre élevage en barrique. 

Nous avons là un beau panel de cépages qui pourraient à l'avenir être une des solutions pour contrer le réchauffement climatique tout en tirant profit de la richesse et la diversité des terroirs bordelais. Faut-il encore que les interprofessions et autres organismes chargés de créer les cahiers des charges des appellations soient assez ouverts aux changement et à l'ouverture d'esprit afin de permettre à Bordeaux de garder une place au firmament dans le mondovino. Un pan de la profession me dira que ces cépages résistants sont la mort des appellations et des typicités des terroirs bordelais. D'aucun me diront qu'il faut savoir s'adapter au plus vite afin de ne pas perdre du terrain sur la qualité et sur l'image du Bordeaux. Les solutions sont pourtant nombreuses pour anticiper ces changements tout en gardant l'esprit des Bordeaux et leur qualité. Mais c'est maintenant que tout se joue pour les 20 à 30 prochaines années. Des décisions importantes sont à prendre au plus vite et les interprofessions sont sous pression de toute part, le tout dans un contexte de crise des Bordeaux dont les ventes ont dégringolées au dernier trimestre 2019. Gageons que les décideurs de la filière prennent les bonnes décisions et surtout qu'ils écoutent leurs adhérents qui ont tous de bonnes idées mais sont souvent freinés par le conservatisme de certains. Il est urgent d'agir, en concertation avec tous les acteurs et agir vite ! 

A bon entendeur ! 

Je remercie les équipes d'Enosens pour leur compte rendu ultra précis et suffisamment clair pour que le petit amateur que je suis, puisse comprendre et vous faire partager les premiers retours sur le millésime en cours de production.